Monemvasia, Péloponnèse, Grèce

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Dans son cauchemar récurrent, Angus MacLean était une chèvre pourchassée par un tigre affamé dont les yeux jaunes le fixaient dans la pénombre de la jungle. Les grondements sourds s’amplifiaient jusqu’à ce qu’ils emplissent ses oreilles. Puis le tigre bondissait. Il sentait son haleine fétide et ses crocs acérés qui s’enfonçaient dans sa gorge. Il portait les mains à son cou dans une tentative désespérée de fuite. Son bêlement pathétique se changeait en gémissement... et il se réveillait dans ses draps trempés de sueur, cœur battant et mains tremblantes.

MacLean s’extirpa de son lit étroit et ouvrit les volets. Le soleil de Grèce inonda les murs blanchis à la chaux de cette ancienne cellule monastique. Il enfila un short et un T-shirt, chaussa ses sandales de marche puis sortit, clignant des yeux devant l’éclat de la mer saphir. Les battements de son cœur s’apaisèrent.

Il prit une profonde inspiration pour inhaler le parfum des fleurs sauvages qui poussaient autour du monastère. Il attendit que ses mains aient cessé de trembler et se mit en route pour sa promenade du matin, le meilleur remède pour ses nerfs fragiles.

Le monastère, construction de stuc sur un seul étage, était édifié à l’ombre d’un gros rocher, haut de plus de cent mètres, et que les guides touristiques qualifiaient souvent de « Gibraltar grec ». Pour l’atteindre, il dut gravir un sentier construit sur une ancienne muraille. Des siècles auparavant, les habitants de la ville basse s’étaient retirés derrière ces remparts pour se protéger de leurs assaillants. Du village qui avait autrefois abrité la population tout entière en période de siège, il ne subsistait que des ruines.

Depuis le perchoir offert par les vestiges d’une vieille église byzantine, MacLean pouvait voir à des kilomètres à la ronde. Quelques bateaux de pêche colorés étaient encore au travail. Tout semblait tranquille. MacLean savait que ce rituel matinal lui donnait une fausse impression de sécurité. Les gens qui le traquaient ne trahiraient pas leur présence avant de le tuer.

Il erra parmi les ruines comme une âme en peine, puis il redescendit le long du rempart et regagna la salle à manger du monastère, à l’étage. Ce bâtiment du XVe siècle, converti en chambres d’hôtes par le gouvernement, appartenait au patrimoine grec. MacLean s’imposait de ne pas arriver au petit déjeuner avant que tous les autres clients soient partis se promener.

Le jeune homme qui nettoyait la cuisine sourit en lui disant :

— Kali mera, docteur MacLean.

— Kali mera, Angelo, répondit MacLean en se tapotant le front avec son index. Vous avez oublié ?

Le regard d’Angelo s’éclaira.

— Ah oui, je suis désolé, monsieur MacLean.

— Ça ne fait rien. Je regrette de vous imposer mes petites manies, fit MacLean avec son doux accent écossais, mais comme je vous l’ai expliqué, je n’ai pas envie que les gens croient que je suis capable de guérir leurs maux de tête et d’estomac.

— Neh. Oui, bien sûr, monsieur MacLean. Je comprends.

Angelo lui apporta un bol de fraises fraîches, du melon d’hiver et un yaourt grec avec du miel et des amandes, ainsi qu’une tasse de café bien serré. Ce jeune moine faisait office d’aubergiste, de réceptionniste, d’homme à tout faire et de chef cuisinier. Âgé d’une trentaine d’années, il avait des cheveux bruns bouclés et un beau visage, généralement illuminé par un sourire bienveillant. Il portait des vêtements de travail ordinaires, et seule la corde attachée lâchement à sa ceinture rappelait ses vœux.

Au cours des semaines que MacLean avait passées au monastère, une profonde amitié était née entre les deux hommes. Chaque jour, lorsqu’Angelo avait terminé le travail du petit déjeuner, ils devisaient de leur passion commune : la civilisation byzantine.

MacLean s’était intéressé à l’histoire pour se changer les idées de son travail intense de recherche en chimie. Quelques années auparavant, ce nouvel engouement l’avait amené à Mystra, qui fut le centre du monde byzantin. Il avait parcouru le Péloponnèse et découvert Monemvasia. Un sentier étroit surplombant la mer était l’unique accès au village, qui était un dédale de ruelles et d’allées de l’autre côté du rempart dont l’« unique porte » avait donné le nom Monemvasia. MacLean était tombé sous le charme de cet endroit magnifique. Il s’était promis d’y retourner un jour, ignorant qu’il y reviendrait en craignant pour sa vie.

Au début, le « Projet » semblait parfaitement innocent. MacLean enseignait la chimie à des étudiants de second cycle à l’université d’Édimbourg, lorsqu’on lui avait proposé un emploi de rêve, basé sur la recherche pure. Il avait accepté le poste et pris congé de l’université. Il s’y était lancé à corps perdu, endurant sans rechigner les longues journées de travail, tenu au secret. Il dirigeait l’une des équipes qui travaillaient sur les enzymes, les protéines complexes qui produisent des réactions biochimiques.

Les scientifiques du Projet étaient cloîtrés dans des dortoirs confortables en pleine campagne française, et ils avaient peu de contacts avec le monde extérieur. L’un de ses collègues avait appelé leur travail de recherche, en plaisantant, le « Projet Manhattan ». L’isolement ne posait pas de problème à MacLean qui était célibataire et sans famille proche. Peu de ses collègues se plaignaient. La rétribution astronomique et les excellentes conditions de travail compensaient amplement cet inconvénient.

Puis le Projet avait pris une tournure déconcertante. Lorsque MacLean ou d’autres avaient posé des questions, on leur avait dit de ne pas s’inquiéter. Ils avaient alors été renvoyés chez eux avec pour consigne d’attendre que les résultats de leur travail soient analysés.

MacLean s’était alors rendu en Turquie pour participer à des fouilles archéologiques. Lorsqu’il était rentré en Écosse au bout de quelques semaines, son répondeur téléphonique avait enregistré plusieurs appels anonymes, et un message étrange d’un ancien collègue. Le scientifique demandait à MacLean s’il avait lu les journaux et le priait de le rappeler rapidement. MacLean avait essayé de le joindre et avait appris qu’il venait de trouver la mort quelques jours plus tôt, écrasé par un chauffard qui avait pris la fuite.

Plus tard, en parcourant sa pile de courrier, MacLean avait découvert un paquet envoyé par ce même collègue avant sa mort. L’épaisse enveloppe était remplie de coupures de journaux relatant une série de décès accidentels. Lorsque MacLean les passa en revue, un frisson lui glaça la colonne vertébrale. Les victimes étaient toutes des scientifiques ayant travaillé avec lui sur le Projet.

Griffonné sur une note jointe à l’envoi se trouvait cet avertissement lapidaire : « Sauve ta peau ! »

MacLean avait voulu croire que ces accidents n’étaient que des coïncidences, bien que cela chiffonnât son esprit scientifique. Cependant, quelques jours plus tard, un camion avait essayé de faire sortir de la route son Austin Mini. Il s’en était miraculeusement sorti avec quelques égratignures, mais il avait reconnu le chauffeur du camion comme l’un des gardes qui surveillaient les scientifiques au laboratoire.

Quel idiot il avait été.

MacLean sut qu’il devait fuir. Mais où ? C’est alors que Monemvasia lui était venu à l’esprit. C’était un lieu de villégiature pour les Grecs, mais la plupart des étrangers n’y passaient qu’une journée. Et c’est là qu’il avait choisi d’aller.

Tandis que MacLean méditait sur les événements qui l’avaient amené là, Angelo s’approcha avec un exemplaire de l’International Herald Tribune. Le moine devait s’absenter, mais il serait de retour une heure plus tard. MacLean hocha la tête et sirota son café, dont il savourait la saveur corsée. Il passa les nouvelles habituelles de crises économiques et politiques. Son œil s’arrêta sur un titre dans les colonnes de brèves internationales.

 

UNE ÉQUIPE TV MASSACRÉE PAR DES

MONSTRES SELON UNE SURVIVANTE

Cela s’était passé dans une des îles Orcades en Écosse. Intrigué, il lut la dépêche. Elle ne faisait que quelques lignes, mais lorsqu’il l’eut achevée, ses mains tremblaient. Il relut l’article jusqu’à ce que les mots dansent devant ses yeux.

Mon Dieu, pensa-t-il. Il est arrivé quelque chose d’affreux.

Il plia le journal, sortit et, debout dans la lumière apaisante du soleil, il prit une décision.

MacLean marcha jusqu’à la porte de la ville, prit un taxi jusqu’au bureau de la compagnie de ferry sur la digue et acheta un billet pour Athènes sur l’hydrofoil du lendemain matin. Puis il retourna dans sa chambre et empaqueta ses quelques affaires. Et maintenant ? Il décida, pour son dernier jour, de ne rien changer à ses habitudes et s’assit à une terrasse de café où il commanda un grand verre de limonade glacée. Il était plongé dans son journal lorsqu’il se rendit compte que quelqu’un lui parlait.

En levant les yeux, il découvrit une femme mûre en pantalon et chemisier synthétique à fleurs, qui se tenait près de sa table avec un appareil photo.

— Désolée de vous déranger, dit-elle avec un sourire. Est-ce que ça vous ennuierait ? Mon mari et moi...

Les touristes sollicitaient souvent MacLean pour leurs photos souvenirs. Il était grand et maigre, et avec ses yeux bleus et sa tignasse poivre et sel, il ne ressemblait pas aux Grecs, plus petits et plus bruns.

Un homme assis à une table voisine gratifia MacLean d’un sourire prognathe. Son visage, constellé de taches de rousseur, était rouge brique d’avoir trop pris le soleil. MacLean hocha la tête et prit l’appareil photo des mains de la femme. Il fit quelques clichés et le lui rendit.

— Merci infiniment ! s’exclama la femme avec effusion. Nous serons ravis d’avoir cette photo à mettre dans notre album de voyage.

— Vous êtes américains ? demanda MacLean.

Son désir de parler sa langue avait pris le pas sur sa répugnance à engager la conversation avec des inconnus. Le vocabulaire anglais d’Angelo était limité.

La femme rayonna.

— Ah bon, ça se voit tant que ça ? Pourtant nous essayons de passer inaperçus !

Le tissu synthétique jaune et rose n’était pas franchement à la mode grecque, songea MacLean. Quant au mari, il portait une chemise blanche sans col et une casquette noire de marin comme celles que l’on vend dans les magasins pour touristes.

— On est venus en hydrofoil, dit l’homme avec un accent tramant, en se levant de son siège pour tendre une main moite à MacLean. Ça secouait vachement là-dedans. Vous êtes anglais ?

MacLean eut l’air horrifié.

— Oh non, je suis écossais.

— Moi je suis moitié scotch, moitié soda, fit l’homme avec son sourire de cheval. Désolé pour la confusion. Je suis du Texas et j’imagine ce que je ressentirais si vous pensiez que j’étais de l’Oklahoma.

MacLean se demanda pourquoi tous les Texans qu’il avait rencontrés parlaient comme si leurs interlocuteurs avaient un problème d’audition.

— Je n’aurais jamais pensé que vous étiez de l’Oklahoma, dit MacLean. Je vous souhaite un bon séjour.

Il commençait à s’éloigner lorsque la femme le rappela pour lui demander s’il acceptait d’être pris en photo avec elle par son mari, il avait été si gentil avec eux. MacLean posa avec la femme puis avec l’homme.

— Merci, déclara la femme.

Elle s’exprimait d’une façon plus raffinée que son mari. En peu de temps, MacLean apprit que Gus et Emma Harris venaient de Houston, que Gus avait travaillé dans le pétrole et qu’elle avait été professeur d’histoire. Elle réalisait aujourd’hui son rêve de visiter le berceau de la civilisation.

Il leur serra la main, accepta leur effusion de remerciements et s’engagea dans une rue étroite. Il marchait vite, espérant qu’ils ne seraient pas tentés de le suivre, et prit un chemin détourné pour regagner le monastère.

MacLean ferma ses volets pour que sa chambre reste sombre et fraîche. Il fit une sieste au plus fort de la chaleur de l’après-midi, puis il se leva et s’aspergea le visage d’eau froide. Il sortit alors prendre l’air et eut la surprise de voir les Harris debout près de la vieille chapelle blanche dans, la cour du monastère.

Gus et sa femme prenaient des photos de l’édifice. En le voyant, ils lui firent un signe et lui sourirent, et MacLean sortit pour proposer de leur montrer sa chambre. Ils furent impressionnés par le travail artisanal des panneaux de bois sombre. Une fois dehors, ils levèrent les yeux sur les falaises escarpées derrière le monastère.

— On doit avoir une vue magnifique de là-haut, déclara Emma.

— Ça fait une petite trotte jusqu’au sommet.

— J’ai l’habitude de me promener pour observer les oiseaux, donc je suis assez en forme, dit-elle. Gus est plus sportif qu’il n’y paraît, ajouta-t-elle en souriant. Il était joueur de football américain, même si c’est dur à croire aujourd’hui.

— Je suis un Aggie, dit M. Harris. Je jouais à l’université A&M du Texas. J’ai un peu grossi depuis cette époque-là. Mais je vais vous dire, je veux bien essayer.

— Croyez-vous que vous pourriez nous montrer le chemin ? demanda Emma à MacLean.

— Je regrette, mais je prends l’hydrofoil de bonne heure demain matin.

Il leur expliqua qu’ils pourraient effectuer seuls la randonnée à condition de partir vite, avant que le soleil ne soit trop chaud.

— Vous êtes adorable, dit-elle en tapotant la joue de MacLean avec un geste maternel.

Il sourit et admira leur cran en les regardant partir sur le sentier qui longeait la digue devant le monastère. Ils croisèrent Angelo qui revenait de la ville.

Le moine salua MacLean, puis tourna la tête vers le couple.

— Alors, vous avez rencontré les Américains du Texas ?

Le sourire de MacLean se mua en un froncement de sourcils étonné.

— Comment les connaissez-vous ?

— Ils sont passés hier matin pendant que vous faisiez votre promenade matinale, répondit Angelo en désignant la ville haute.

— C’est bizarre, ils ont laissé entendre qu’il s’agissait de leur premier jour ici.

Angelo haussa les épaules.

— C’est peut-être la distraction de la vieillesse.

Soudain, MacLean eut l’impression d’être la chèvre de son cauchemar. Un vide glacé noua son estomac. Il s’excusa et regagna sa chambre, où il se servit un verre d’ouzo non dilué.

Cela aurait été si facile. Une fois en haut de la falaise, ils lui auraient demandé de poser pour une photo près du bord. Une simple poussée, et il serait tombé.

Encore un accident. Encore un scientifique mort.

Un effort minime. Même pour une gentille prof d’histoire à la retraite.

Il plongea la main dans le sac plastique où il mettait son linge sale. Enfouie tout au fond se trouvait l’enveloppe pleine de coupures de journaux jaunies, qu’il étala sur la table.

Les titres étaient différents, mais le contenu était toujours le même.

 

UN SCIENTIFIQUE MORT DANS UN
ACCIDENT DE VOITURE

UN SCIENTIFIQUE TUÉ PAR UN CHAUFFARD

UN SCIENTIFIQUE TUE SA FEMME ET SE SUICIDE

UN SCIENTIFIQUE VICTIME D’UN ACCIDENT DE SKI MORTEL

Chacun d’entre eux avaient travaillé sur le Projet. Il relut le message : «. Sauve ta peau ! » Puis il rangea la coupure du Herald Tribune avec les autres et se rendit à la réception. Angelo parcourait le registre des réservations.

— Je dois partir, annonça MacLean.

Angelo eut l’air consterné.

— J’en suis désolé. Quand cela ?

— Ce soir.

— C’est impossible. Il n’y a ni hydrofoil ni autocar avant demain matin.

— Néanmoins, je dois absolument partir et je vous demande de m’aider. Je vous dédommagerai.

La tristesse emplit les yeux du moine.

— Je le ferai par amitié, pas pour de l’argent.

— Excusez-moi, dit MacLean, je suis un peu bouleversé.

Angelo n’était pas stupide.

— Est-ce à cause des Américains ?

— Il y a des personnes dangereuses qui me recherchent. Ces Américains peuvent avoir été envoyés pour me retrouver. Bêtement, je leur ai confié que je partais demain. Je ne sais pas s’ils sont seuls ou non. Peut-être que quelqu’un d’autre fait le guet à la porte de la ville.

Angelo hocha la tête.

— Je pourrais vous conduire sur le continent en bateau. Il vous faudra aussi une voiture.

— J’espérais que vous pourriez en louer une pour moi, dit MacLean.

Il tendit à Angelo sa carte de crédit, qu’il n’avait pas utilisée jusqu’à maintenant, de peur d’être repéré.

Angelo appela l’agence de location du continent. Il raccrocha au bout de quelques minutes.

— Tout est prêt. Ils laisseront les clés sur la voiture.

— Angelo, je ne sais comment vous remercier.

— Pas d’argent. Vous ferez un don la prochaine fois que vous irez à l’église.

MacLean dîna légèrement dans un café à l’écart, sans pouvoir s’empêcher de regarder les autres tables avec appréhension. La soirée s’écoula paisiblement. En regagnant le monastère, il ne cessait de regarder pardessus son épaule.

L’attente fut éprouvante. Il se sentait pris au piège dans sa chambre, même s’il s’efforçait de se rappeler que les murs faisaient au moins trente centimètres d’épaisseur et que la porte pouvait résister à des coups de bélier. Quelques minutes après minuit, on frappa doucement à sa porte.

Angelo se chargea de son sac et le conduisit le long de la digue jusqu’à un escalier qui descendait à une plate-forme en pierre utilisée comme plongeoir par les baigneurs. À la lumière d’une torche électrique, MacLean distingua un petit bateau à moteur amarré à la plate-forme. Ils embarquèrent. Angelo s’apprêtait à larguer les amarres lorsqu’ils entendirent un bruit de pas étouffé sur les marches.

— Vous partez faire une croisière de nuit ? demanda la douce voix d’Emma Harris.

— Tu ne crois tout de même pas que M. MacLean s’apprêtait à partir sans nous dire au revoir ? fit son mari.

Une fois remis de sa surprise, MacLean retrouva sa langue.

— Qu’est-il arrivé à votre accent texan, monsieur Harris ? s’enquit-il.

— Bah, je dois avouer qu’il n’était pas vraiment authentique.

— Ne te rabaisse pas, mon chéri. Le docteur MacLean s’y est tout de même laissé prendre. En tout cas, je dois dire que nous avons eu de la chance, cela nous a aidés à mener à bien notre mission. Nous étions assis dans ce joli café pittoresque lorsque vous êtes arrivé. C’était vraiment gentil de votre part de nous laisser vous prendre en photo pour que nous puissions faire la vérification avec celle de notre dossier. Nous n’aimons pas commettre des erreurs.

Son mari s’esclaffa de bon cœur.

- « Donnez-vous la peine d’entrer », dit l’araignée à la mouche.

- « Je vous attendais pour dîner. »

Ils éclatèrent de rire.

— Vous avez été envoyés par la Compagnie, dit MacLean.

— Ce ne sont pas des idiots, lui fit remarquer Gus. Ils savaient que vous vous montreriez méfiant avec quelqu’un à la mine patibulaire.

— C’est une erreur qu’ont commise beaucoup de gens, fit Emma d’une voix triste. Mais c’est ce qui nous permet de bien faire notre boulot, hein, Gus ? Bon, c’était bien agréable ce séjour en Grèce. Mais toutes les bonnes choses ont une fin.

Angelo avait écouté toute la conversation d’un air intrigué. Il n’avait pas saisi le danger de la situation. Avant que MacLean ait pu l’en empêcher, il tendit la main pour détacher le bateau.

— Excusez-nous, mais nous devons partir.

Ce furent ses dernières paroles.

On entendit le plop étouffé d’un pistolet muni d’un silencieux et une langue de feu écarlate lécha l’obscurité. Angelo porta les mains à la poitrine et sa gorge émit un gargouillis. Puis il bascula dans l’eau.

— Ça porte malheur d’abattre un moine, ma chérie, lança Gus à sa femme.

— Il ne portait pas de soutane, se défendit-elle en faisant la moue. Comment aurais-je pu deviner ? ajouta-t-elle sur un ton moqueur.

— Allons, docteur MacLean, lui enjoignit Gus. Notre voiture attend pour vous conduire à un avion de la Compagnie.

— Vous n’allez pas me tuer ?

— Oh non ! s’exclama Emma en reprenant sa voix de touriste innocente. Nous avons d’autres projets pour vous.

— Je ne comprends pas.

— Ça viendra, mon cher. Ça viendra.